Article paru dans la rubrique "Réflexions" du Taichi Mag n°9

Histoire de cette lignée de Chen Fake
Avant de rentrer dans le vif du sujet, parlons de la chronologie des générations :
Depuis l’ancêtre de la famille Chen, Chen Bu (14ème siècle), jusqu’à la 8ème génération (17 et 18ème siècle), le Taiji Quan n’existe pas officiellement, bien que certains auteurs évoquent une éventuelle origine plus lointaine, en rapport avec un maître Taoïste mythique du nom de Zhang Sanfeng. La 9ème génération de la famille Chen devient la 1ère génération de l’histoire du Taiji Quan liée à cette famille Chen. Jusqu’à la 14ème génération (18ème siècle), la transmission du Taiji Quan ne fut pas possible en dehors de la famille du clan Chen. A partir de ce moment-là l’enseignement est diffusé à toutes personnes étrangères à la famille mais qui désirent ardemment apprendre cet art martial. Ainsi si la 14ème génération peut être encore utilisée pour désigner un maître portant le nom « Chen » selon la lignée de sang, les générations suivantes et quels que soient les noms de famille, font partie de la famille de transmission du Taiji Quan du style Chen. Prenons un exemple avec le nom d’un célèbre maître de la lignée de sang du clan des Chen et qui débute la lignée dite de Pékin: Chen Fake qui fait partie de la 17ème génération de sang de la famille Chen en dehors de toutes considérations reliées à la transmission du Taiji Quan, se retrouve à la 9ème génération attachée à l’héritage familial de la boxe du Taiji. Pour éviter encore des confusions, je n’utiliserai que la chronologie des générations liée au Taiji Quan du style Chen.

Il y a quelques années en Chine le Maître Wan Wende (11ème génération 1913 – 2010), disciple du Me Chen Zhaokui (10ème génération 1928 – 1981) fils du célèbre Chen Fake (9ème génération 1887 – 1957), écrivait une chronique en Chine sur la réhabilitation et la méprise faite au sujet de l’appellation Lao Jia et Xin Jia pour l’école Chen de Taiji Quan. Dans l’esprit des gens, le terme « Ancien Lao » signifie « traditionnel » et authentique tandis que le terme « Jeune Xin » prend une connotation de moindre valeur. En France, le maître Sun Genfa avait soulevé ce problème en écrivant une chronique sur le magazine « génération Tao » en 2001.

De la 9ème génération de la famille Chen avec Chen Wanting (1ère génération de l’art martial du Taiji) jusqu’à la 14ème génération de sang et 6ème génération de la boxe, le style Chen n’est pas enseigné en dehors de la famille. Chen Wanting était un maître d’arts martiaux et servait dans l’armée. Il se serait inspiré des travaux du général Qi Jiguang (1528 - 1588), de sa connaissance du Dao Yin (ancien nom du Qi Gong) et du Tui Na (massage intégré dans la médecine traditionnelle chinoise). C’est à partir du Me Chen Changxing (6èmegénération 1771 – 1853) que la transmission se propage hors de la famille de sang avec Yang Luchan (1799 – 1872), dont la lignée deviendra plus tard celle du style de la famille Yang, le style le plus populaire et le plus répandu dans le monde. De son vivant, Yang Luchan enseigne son art, celui transmis par la famille Chen, au palais de l’empereur à Pékin. Le propre style de la famille Yang n’est pas encore né. Cependant,il sera connu pour ses multiples exploits martiaux et sera ainsi surnommé Yang Wudi « l’invincible ».
C’est aussi à partir du maître Chen Changxing que l’enseignement des formes ou Tao Lu passe de 7 enchaînements à 2 formes (Tao Lu), avec la grande forme en 74 mouvements et la deuxième forme appelée « les Poings Canons ».
En même temps Chen Youbeng (1780 – 1858) modifie la forme initiale qui devient ainsi Xin Jia aussi appelé Xiao Jia (Nouvelle forme, forme courte). Son élève Chen Qingping (1795 – 1868 - origine du style Zhaobao ou de la famille He plus tard, village voisin de Chenjiagou) la transmet à Wu Yuxiang, futur créateur du style Wu. Cette nouvelle forme est vraiment différente, elle est simplifiée, plus sobre et peut de ce fait être désignée comme Xin Jia. Nous verrons plus loin qu’il ne s’agit pas de cette forme dont il est question dans cet article.
Chen Gengyun (7ème génération) un des fils de Chen Changxing aura deux fils comme élèves Chen Yanxi (8ème génération 1820 – 1901?) père de Chen Fake et Chen Yannian qui eut comme fils Chen Dengke, père de Chen Zhaopi. Chen Yanxi sera un fameux boxeur de la famille Chen, il enseigne pendant 10 ans les gardes du corps du gouverneur de la province du Shandong Yuan Shikai qui est ministre de l’impératrice Douairière Cixi. Chen Yanxi prétextant une maladie, quitta son service lorsque Yuan Shikai se proclama empereur de Chine.
Chen Zhaopi (10ème génération 1883 – 1972) commence son entraînement auprès de son oncle Chen Yanxi, le père de Chen Fake, mais c’est en tant que neveu et élève de Chen Fake qu’il poursuit et perfectionne son étude. En 1928, Chen Zhaopi part travailler à Pékin, dans une des pharmacies de la famille. Ayant quelques ennuis avec des raquetteurs, il demande à son oncle Chen Fake de venir l’aider. C’est ainsi que Chen Fake (9ème génération) s’installe à la capitale et y transmet le Taiji Quan de la famille avec la « Lao Jia Da Jia » en 74 mouvements qu’il avait apprise auprès de son père Chen Yanxi et ce jusqu’à sa mort en 1957. Il a eu plus d’une centaine de disciples qui ont à leur tour transmis cet héritage. Peu à peu Chen Fake fait évoluer l’art et la transmission de ses prédécesseurs en rajoutant notamment 3 postures et en insistant sur un développement de mouvements plus ouverts, larges et exécutés de façon plus spiralée. Vouant toutes ses journées à la pratique de cet art, il le fit évoluer à un point tel que les générations suivantes auront beaucoup de mal à atteindre ou à dépasser.
Parlons un instant du contexte politique de la Chine à cette époque pour permettre de situer l’histoire chronologique du Taiji Quan de la famille Chen à Beijing (Pékin) avec celle de la Chine :
En 1928, Chen Zhaopi et Chen Fake viennent s’installer à la capitale. Nous sommes en pleine révolution, l’ancienne dynastie Mandchou des Qing s’est effondrée en 1911 et deux nouveaux gouvernements se profilentdepuis la fondation en 1921 du Parti Communiste chinois et celui des Nationalistes du Guomindang mené par Tchang Kaitchek (Jiang Jieshi). La guérilla fait rage entre ces deux factions. Beaucoup de gens quittent la capitale pour aller vers le sud, à Nankin (Nanjing) capitale du Parti Nationaliste du Guomindang. Peu à peu Mao Zedong prend la tête du parti communiste et entame la « Grande Marche » de 1934 à 1935. En même temps, en 1937, l’envahisseur Japonais entre en Chine et y fait régner la terreur jusqu’en 1945, date de leur défaite. Les deux mouvements politiques chinois qui se faisaient la guerre ont formé une alliance provisoire pour repousser l’envahisseur.
En 1941, le conflit sino-japonais entre dans une phase mondiale avec l’attaque de Pearl Harbor aux Etats Unis déclenchant l’implication dans cette guerre des Américains. Les Alliés Occidentaux puis enfin les Soviétiques, permirent la capitulation du Japon. Mao Zedong repousse alors le parti de Tchang Kai Tchek -qui se réfugie à Taiwan- et devient le chef suprême en 1949 en proclamant la « République Populaire de Chine ».
De 1954 à 1959 il devient le premier Président de la Chine populaire. Suivant l’exemple de l’URSS et de son collectivisme il met en place des réformes dans le but de faire faire à la Chine le fameux « bond en avant » qui se soldera par des famines qui feront 45 millions de morts. Critiqué, il est écarté de la présidence mais conserve un poste clé en tant que Secrétaire Général du parti, ce qui lui donne tout pouvoir au niveau des armées. Il soulève ainsi les étudiants qui l’aident à renverser le gouvernement et reprend le pouvoir central en 1966. Il met en place la terrible « Révolution Culturelle » avec ses « Gardes Rouges » qui occasionneront une répression dramatique sur la classe intellectuelle. Tous les maîtres d’arts martiaux, considérés comme des dangers potentiels au régime, seront exécutés ou placés dans des camps de travail aliénant. En 1976, le Grand Timonier meurt sans laisser d’instruction pour désigner son successeur. Après un tel régime totalitaire et désastreux, Deng Xiaoping, ayant étudié en France dans sa jeunesse, prend la direction du parti et ouvre le pays au monde occidental. Le début des années 80 annonce le retour de la Chine sur la scène internationale économique et culturelle et marque le début du développement de grande masse de l’enseignement des Wu Shu dont le Taiji Quan fait partie.
Cette parenthèse historique est nécessaire pour tenter de comprendre le climat délétère qui persista en Chine depuis les années 1930 jusqu’en 1976. Tous les grands maîtres de cette époque ont dû continuer leur entraînement en toute clandestinité, la nuit, à l’abri des regards soupçonneux et de la délation possible de leurs « camarades ».
En 1963, deux des disciples de Chen Fake, Shen Jiazhen (10ème génération 1891 – 1972) et Gu Liuxin (10ème génération 1907 – 1990) publient un ouvrage sur le Taiji Quan de la famille Chen avec la transmission authentique de l’ancienne forme Lao Jia, augmentée de 3 mouvements répétés que Chen Fake enseigne à Pékin, Shanghai et Nankin (Nanjing). En ce temps-là, personne ne mentionne une dite nouvelle forme de Chen Fake mais plutôt une continuité de la tradition authentique transmise depuis Chen Changxing son arrière-grand-père. Shen Jiazhen, ayant été déçu par l’enseignement de Yang Chengfu (1883 – 1936), petit-fils de Yang Luchan et le véritable fondateur du style Yang, étudie alors le style Chen auprès de Chen Fake et rédige un livre important sur la théorie du style Chen du Taiji Quan, le plus abouti de l’époque.
Lorsque Chen Zhaopi, son neveu, revient en 1958 dans son village natal Chenjiagou (province du Henan) et après avoir enseigné à Nanjing, dans le centre d’entraînement national pendant 20 années, il découvre que la boxe Taiji de la famille Chen a pratiquement disparu du village, faute d’un manque de maîtres-enseignants, tous expatriés dans de grandes villes de la Chine. C’est grâce à Chen Zhaopi que le style Chen de Chenjiagou (village très rural) refleurit. Il aura entre autres 4 fameux disciples, nommés « les 4 guerriers du Bouddha », Chen Xiaowang, Chen Zhenlei, Wang Xian et Zhu Tiancai (tous de la 11ème génération) qui feront la renommée internationale de cet art. A la mort de Chen Zhaopi en 1972, tous les maîtres de Chenjiagou se sont concertés pour faire venir Chen Zhaokui qui devait succéder à son oncle en tant que Grand Maître héritier, comme étant la « porte » de la transmission. Chen Zhaokui représentait la tradition ancestrale transmise depuis Chen Changxing à travers son père Chen Fake. Hélas, Chen Zhaokui meurt très jeune des suites d’un accident vasculaire cérébral.
En 1985, Chen Xiaowang publie un ouvrage avec la forme en 74 mouvements enseignée auprès de Chen Zhaopi qu’il appelle Lao Jia (ancienne forme, sous entendue « authentique et originelle »). Lorsque le fils de Chen Fake, Chen Zhaokui revient au village, dans les années 70 pour y enseigner le Taiji Quan authentique de son père, les 4 Piliers de la transmission de Chenjiagou, qui étudient avec lui la forme de Chen Fake, décident de nommer cette forme Xin Jia, la nouvelle forme, du fait qu’ils ont déjà publié l’autre sous l’appellation Lao Jia. Chen Fake a eu une centaine de disciples dont Chen Zhaopi, Chen Zhaoxu, le père de Chen Xiaowang. Chen Zhaopi ne pouvait pas détenir une boxe plus authentique que son maître, seulement il n’a pas pu continuer à étudier avec Chen Fake car il était parti à Nankin enseigner, et c’est de lui que le style Chen est reparti à Chenjiagou. Actuellement, les maîtres de Chenjiagou privilégient cependant la dite « nouvelle forme » de Chen Fake qu’ils ont reçu de son fils Chen Zhaokui. Les boxeurs de Chenjiagou de la 11ème génération ont fait un énorme travail de reconnaissance internationale de leur art, tandis que ceux de Pékin ont continué à enseigner chacun de leur côté sans faire valoir l’origine authentique de la forme que leur avait transmis leur maître commun Chen Fake. C’est en 1983 que la fédération pour la recherche du style Chen de Beijing (Pékin) est fondée et fait connaître les maîtres de la lignée Chen de Beijing. Comme dans toutes les cultures, entre celle des grandes villes et capitales, plutôt intellectuelles et celle des campagnes, plus rurales et paysannes, il y a toujours eu une fracture et une difficulté de communication, chacune revendiquant ses spécificités.
Depuis 2005, je suis entré officiellement dans la lignée de transmission du style Chen de Taiji Quan de Pékin, en devenant disciple du Maître Ding Dahong (11ème génération), lui-même disciple du maître Tian Xiuchen (10ème génération 1917 – 1984), disciple de Chen Fake.

Ce printemps 2016, lors d’un voyage en Chine avec 9 de mes disciples, nous avons eu l’énorme surprise de voir notre école Fa Taiji de Toulouse (France) honorée de la 3ème branche de développement de cette lignée, la première étant celle de Beijing, puis la deuxième celle de Hefei (la ville de mon maître). Ils m’ont aussi gratifié du poste de Secrétaire Général Adjoint de cette fédération. En tant que disciple héritier de cette lignée, j’ai l’immense honneur de représenter officiellement le premier développement étranger à la Chine pour le style Chen de Beijing de Taiji Quan.

Nous avons aussi pratiqué dans un parc non loin du Temple du Ciel et fait des démonstrations sous le regard du Me Tian Qiumao (11ème génération) neveu et disciple de Tian Xiuchen comme Me Ding, ainsi qu’avec d’autres écoles de la capitale.
Nous avons poursuivi notre périple dans la ville de Yongnian, dans la province du Hebei, célèbre place de la famille Yang et Wu du Taiji Quan, dont l’histoire et les structures des formes montrent bien qu’elles doivent leurs origines à la famille Chen de Taiji Quan.
Maître Ding nous a ainsi organisé un stage auprès de deux maîtres issus de la lignée Yang de Taiji Quan dans les personnes de Han Qingmin (6ème génération Yang), disciple du Me Fu Shengyuan (5ème génération Yang, fils et disciple de Fu Zhongwen (4ème génération Yang 1903 – 1994), lui-même gendre et disciple du Me Yang Chengfu, le fondateur à proprement parler du style Yang tel que nous le connaissons aujourd’hui dans son rayonnement mondial (des millions de pratiquants) – et le Me Zhao Xianping, lui-même descendant de la lignée Yang par son maître Zhai Wenzhang (6ème génération Yang) lui-même disciple de Yang Zhaolin dont le maître n’était autre que Yang Banhou le deuxième fils du patriarche Yang Luchan. Maître Ding souhaitait ainsi faire reconnaître officiellement notre niveau de Taiji Quan dans le style Yang, par des représentants directs de la lignée Yang. A la suite de ce stage j’ai reçu un diplôme de formateur-professeur de Taiji Quan de la ville de Yongnian.
Nous avons continué dans la ville de Dezhou dans la province du Shandong, où nous avons été reçus par le Me Wang Yong (11ème génération) disciple du Me Hong Junsheng (10ème génération 1907 – 1996), lui-même disciple de Chen Fake, pour un échange de nos pratiques avec des démonstrations et des Tui Shou. Nous nous sommes ensuite rendus à Hefei, capitale pour la province Anhui, où nous avons échangé et pratiqué avec des élèves de Me Ding et de Me Wang sa femme. Nous avons fait également des échanges de « poussées de mains » Tui Shou avec des maîtres de style Yang, amis de Me Ding.
Enfin nous avons fini notre périple dans la ville de Chizhou dans la province de l’Anhui, où nous avons pu assister à la fondation de la Quatrième branche de développement pour le style Chen de Beijing. Nous avons fait de multiples démonstrations, un reportage télévisé… (voir liens sur le site fataiji.fr).
De nombreux Maîtres chinois faisant partie de la lignée Chen de Pékin sont connus et reconnus de par le monde mais l’aura et le développement médiatique fait autour de Chenjiagou, village des origines, reste pour le moment dominant.
Voici quelques noms de maîtres de cette lignée Chen de Beijing (Pékin) dont la réputation a franchi les frontières de la Chine :
Me Feng Zhiqiang (10ème génération 1928 – 2012) disciple direct de Chen Fake a été nommé « trésor national » par l’état chinois
Me Chen Zhaokui (10ème génération) fils et disciple de Chen Fake, a eu de nombreux disciples
Me Chen Yu (11ème génération) fils et disciple de Chen Zhaokui fils de Chen Fake qui hélas est devenu hémiplégique à la suite d’un accident vasculaire cérébral comme son père décédé des suites d’un AVC
Me Ma Hong (11ème génération) disciple de Chen Zhaokui
Me Chen Zhonghua (11ème génération) disciple de Feng Zhiqiang
Me Cheng Jincai (11ème génération) disciple de Chen Zhaokui, développe le style Chen de Beijing aux USA
Me Zhang Zhijun (11ème génération) disciple de Chen Zhaokui
Veuillez m’excuser pour l’omission possible de certains noms de maîtres réputés….
Jean-Jacques Galinier
12ème Génération du style Chen de Taiji Quan
6ème Génération dans le style Yang de Taiji Quan
Disciple du Maître Ding Dahong 11ème génération Chen et 5ème génération Yang

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Maître Ding Dahong reportage télèvision 2017
Reportage réalisé par la télèvision régionale de la province d' Anhui, dans la ville de Hefei , ville ou réside Maitre Ding Dahong