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Jean-Jacques Galinier

Jean-Jacques Galinier

Expert en Energétique - Ecrivain - Conférencier et Fondateur de l'Ecole Fa Taiji - Maître Renommé de Taiji Quan "Ming Shi" 12ème Génération du style Chen de Taiji Quan, 6ème Génération dans le style Yang de Taiji Quan - Disciple du Maître Ding Dahong 11ème génération Chen et 5ème génération Yang


Les 7 Piliers fondamentaux du Taiji Quan traditionnel (suite)

Publié par Jean-Jacques Galinier sur 3 Février 2019, 20:35pm

Catégories : #TaichiMag, #Taiji Quan

Article paru dans la rubrique "Réflexions" du TaichiMag n°7

Posture de Taiji Quan du style Chen, Chenjiagou


 

 1- Jiben Gong 基本功 : Travail des Bases, des Fondamentaux

2- Tao Lu 套路 : Les Enchaînements de mouvements

3- Tui Shou 推手 : Les poussées de mains

4- Wei Jin 喂劲 : Nourrir la force de l'autre, le partenaire

5- Da Gan 大杆 : Travail de la grande Perche

6- Fa Jin 发劲 : l'Explosivité, la Sortie de la Force ou décharge de la force

7- Nei Gong 内功 : Renforcement Interne

 

          Reprenons le précédent article avec la suite du 5ème pilier :

 

5- Da Gan, la grande Perche (suite)

 

          La pratique de la perche est remarquable pour améliorer ses capacités martiales dans la droite ligne des principes du Taiji Quan. Cette pratique est surtout répandue en Chine dans le milieu de l’école Chen de Taiji Quan. Pédagogiquement, elle vient s’immiscer à une étape importante de l’étude de cet art interne afin de renforcer les liaisons et connexions du corps intégral Zheng Ti 整体. Les perches sont plus ou moins longues et lourdes, mais toujours flexibles, afin de pouvoir conduire l’onde jusqu’à son terme. La force d’intention Yi doit entraîner le Qi à se propager tout le long de la perche, après avoir parcouru l’ensemble du corps en commençant par les racines Gen des pieds. La force spiralée Chansi Jin 缠丝劲 se déploie dans le sens antihoraire dans les jambes et atteint le point carrefour situé entre les omoplates appelé Bei Si Kou 背丝扣, avant de se répandre dans les bras puis tout le long de la perche. Le fait que la perche soit longue et assez lourde favorise une force d’inertie qui vient s’opposer à la force émise par le corps intégral. Ceci entraîne un décalage assez conséquent entre la force motrice des jambes et de la taille et les effets ressentis dans le mouvement final de la perche. A travers la lecture visuelle du mouvement global, le professeur peut voir si les connexions du corps intégral sont bien établies et à quel degré. Le travail de la perche agit comme si vous placiez une loupe sur le développement cinétique de l’ensemble des chaînes musculaires du corps. Les défauts comme les qualités d’exécution des gestes apparaissent au grand jour et nous renseignent sur le comment améliorer le tissage interne des liaisons biodynamiques inter et intra-articulaires. Nous apprenons ainsi à réunir les 9 articulations et à les mettre en relation synergiques, Jiu Qu Guan Tong 九曲贯通

 6- Fa Jin l’émission de la Force

 

          Émettre correctement la force Fa Jin 发劲 ne peut être réalisé qu’après un long cheminement sur la voie du Taiji Quan, en présence d’un guide compétent. Il ne faut pas confondre l’influx nerveux, utilisé classiquement dans les arts martiaux externes et ce type d’émission typique des arts martiaux internes. Le Fa Jin ressemble au décollage d’une fusée, dont la poussée et l’arrachement du sol se produisent de façon lente pour aller vers une accélération de plus en plus forte. La sensation internalisée ressemble à celle que nous ressentons lorsque l’on s’exerce avec la grande perche.

 

1- Dans un premier temps, à partir des pieds, et des mains, l’énergie s’accumule et se rassemble dans le Dantian inférieur. Les chinois appellent cette phase « habiter et réunir la force » He Zhu Jin 合住劲. Cela ressemble de façon simple à l'idée de l'inspiration qui vient capter l'énergie de l'air et la prépare pour aller nourrir tout le métabolisme. Cette phase est la plus importante et la plus difficile à acquérir. Elle est appelée Xu et engendre le Fa . L’art d’accumuler le Qi découle d’un entraînement intensif appelé Gong et du niveau atteint traduit par le terme Gong Fu 功夫. Lorsque l’archer bande son arc, toute son énergie se condense dans l’essence du bois de l’arc et de sa relation avec la corde. C’est donc de la qualité de l’arc et de son essence que découlera sa capacité à projeter la flèche avec la plus grande vélocité. Or, dans le monde du Taiji Quan, ce sont 5 arcs qui sont travaillés, affinés puis synchronisés pour produire une force en relation avec ses propres projets tournant autour de la santé, du martial et de la spiritualité. Le processus d’affinement suit les mêmes règles décrites par l’alchimie taoïste Nei Dan 内丹. L’entraînement quotidien et solitaire est la seule possibilité d’atteindre la transformation requise. Comment pourrions-nous l’atteindre si nous étions constamment en contact avec un partenaire ou face à un adversaire ? Cela légitime largement l’entraînement solitaire du Taiji Quan, qui est avant tout l’entraînement du Yi, l’augmentation de sa capacité créatrice (dimension spirituelle) pour mobiliser le Qi. L’utilisation d’un arc par exemple, conduit à l’user surtout lorsqu’on en abuse. Dans le cas de l’énergie du corps humain il est possible d’apprendre à se recharger et d’accumuler l’énergie dans les os et les tendons, ce que les chinois nomment « travailler l’arc et les flèches Gong Jian Gong 弓箭功». Les 5 arcs du corps sont les 4 membres et la colonne vertébrale. Avant d'émettre il y a une sorte de rétention comme si nous empêchions les forces motrices de s'exprimer. Nous pouvons prendre comme analogie un barrage hydro-électrique créant une retenue d’eau suffisante pour être utilisée dans la production de l’électricité. C’est le rapport entre la retenue et le lâcher de l’eau qui va engendrer la puissance nécessaire à l’émission hydraulique que l’on peut assimiler aux liquides organiques du corps et la production électrique qui n’est autre que le Qi, l’énergie que le corps peut véhiculer. Nous pouvons facilement employer cette analogie car nous sommes composés à 70% d’eau et nous pouvons également utiliser l’image de l’électro-aimant dont la puissance est proportionnelle au nombre de spires de cuivre enroulées autour du solénoïde de fer. L’ensemble des fascias du corps physique est naturellement enroulé, spiralé, entrelacé pour mieux protéger, transmettre et connecter les différentes parties fonctionnelles. Ce sont des tissus fibro-élastiques à base de tissus conjonctifs intelligents. Ils participent à la perception proprioceptive et nociceptive (alarmes contre les douleurs) du sujet psycho-corporel. Le fait de travailler l’art des spirales sous contraintes comme le fait l’école Chen de Taiji Quan, augmente le rendement de l’énergie qui est d’une part canalisée pour améliorer le terrain prophylactique et d’autre part pour en accroître les capacités martiales. L’ensemble semble baigner dans un champ électromagnétique qui engendre, protège et nourrit le vivant Yang Sheng 养生.Cependant, comprendre les processus engagés dans l’école du Taiji Quan ne suffit pas à nous transformer, il est nécessaire de s’entraîner quotidiennement. Les occidentaux peuvent comprendre facilement beaucoup de notions mais ils n’ont pas la patience et l’amour de l’exercice physique sans buts immédiats. Les orientaux ne se posent pas souvent la question du pourquoi, ils se mettent à l’ouvrage et découvrent peu à peu les résultats sur eux-mêmes, pour en déduire des causes et les affiner. Les deux points de vue sont opposables en tout point mais ils peuvent également être abordés de façon complémentaire. C’est toute la philosophie du Taiji et du Yin-Yang.

 

2 - Dans un deuxième temps, la taille, donc le Dantian inférieur, considéré comme le maître des mouvements Zhu Zai Yu Yao 主宰于腰, envoie cette énergie le long de la colonne vertébrale qui conduit cette onde comme le ferait le bois de l'arc et sa corde pour s'accorder. La colonne vertébrale est l'âme du corps physique et c'est par le jeu subtil de ses 24 articulations que se produit l'émission de sa force Li You Ji Fa 力由脊发. Ainsi, au fur et à mesure de nos progrès, chaque vertèbre doit pouvoir être légèrement mobilisée en toute conscience proprioceptive. La sensation des ondes qui parcourent le corps se rapproche davantage de mouvements hydriques plutôt que biomécaniques. C'est le résultat progressif du Fang Song 放松, l'art du relâchement dynamique qui s'adapte alors de mieux en mieux avec le Yi qui lui donne forme, direction et niveau de pression interne propre à développer une certaine puissance. La première phase d’absorption et d’accumulation du Qi est suivie par une émission qui elle aussi est retenue à un certain niveau de son cheminement afin d’en cacher l’instant de l’explosion énergétique, vécue alors en toute détente Yin, comme l’archer au moment où il décoche sa flèche. Ce moment se vit comme un lâcher prise, un abandon, un non effort dans la droite ligne de l’adage Taoïste de « l’agir sans faire » Wei Wu Wei 为无为 (為無為 caractères traditionnels). Lorsque, dans mon apprentissage des arts martiaux externes, je m’entraînais à développer ma vitesse d’exécution des coups de poing et des coups de pieds, je cherchais à trouver le meilleur placement postural et biomécanique pour soutenir mon influx nerveux. La sensation finale était suivie d’une plus ou moins grande fatigue, chaque émission étant une décharge énergétique, souvent accompagnée de rétention d’air et de crispations multiples. Quand j’ai rencontré mon maître Ding Dahong, je trouvais que ses Fa Jin étaient moins impressionnants que les miens, je l’attribuais alors à son âge avancé. Aujourd’hui j’ai complètement révisé et revisité l’art des Fa Jin. C’est simplement une certaine maturité dans la pratique qui me les fait vivre autrement plus interne. Ce sont les mouvements du Nei Qi 内氣 l’énergie interne ou Zhen Qi 真氣l’énergie véritable qui anime mes sorties de force. Le ressenti est totalement différent de celui que j’en avais par le passé. La puissance est cependant au rendez-vous, sans la fatigue et avec en plus une sensation de se remplir plutôt que de se vider. Le corps est bien détendu au moment de l’explosivité qui se vit comme une progression hydraulique plutôt qu’un influx nerveux, échappant à toute conscience proprioceptive. C’est toute l’élasticité et la robustesse acquise au niveau des fascias qui propage la force élastique vibrante Tan Dou Jin 弹抖劲.

 

 

7- Nei Gong

 

          Nous voici au dernier pilier de cette voie qui canalise l’ensemble du processus d’élaboration pédagogique de cette discipline, que ce soit pour l’acquisition et le maintien d’une meilleure santé ou à des fins martiales. Le terme Gong, « travail » suit naturellement le développement inhérent à chaque palier contenu dans les piliers fondamentaux décrits dans ces articles. Nei, est la caractéristique « interne » de l’ensemble de cette étude. Or l’apprentissage de cette voie interne ne nous est pas accessible de prime abord. Nous sommes obligés de passer par des procédés externes, visibles dans tous les mouvements des membres du corps qui peuvent les manifester. La pédagogie du Taiji Quan est basée sur l’exécution lente des mouvements externes qui favorise progressivement l’entraînement en conscience des mouvements internes. La lenteur permet d’accrocher, de faire adhérer des sensations internes aux mouvements qui se déploient vers l’extérieur. Nous pourrions employer l’expression « fédérer » l’envers du décor, invisible, en adéquation avec son endroit, visible. La lenteur décompose les parties qui jouent les unes avec les autres pour en constituer une composition. La vitesse nous fait voir la composition finale mais nous éjecte, en tant que récepteur d’informations, d’une grande partie perceptive, laquelle nous échappe.

 

La voie du Nei Gong ne peut être abordée qu’à un certain stade de notre progression, lorsque notre sensibilité interne nous fait ressentir la circulation interne du Qi, Nei Qi 内氣, -que j’avais abordée dans le numéro 4 de TaichiMag ; cela prouve que l’ensemble des canaux énergétiques sont désobstrués, condition sine qua none au travail du Nei Gong, sous peine de provoquer des lésions et d’obtenir des résultats destructifs plutôt que constructifs. Les mouvements externes deviennent de façon évidente, la conséquence des mouvements internes. Le Nei Gong contient l’idée de renforcement, d’amplification du flux énergétique et de libération des énergies enfouies dans les liquides organiques, les tissus conjonctifs. Pour cela les exercices sont pénibles, comme si nous allions creuser au plus profond de nous pour en tirer le maximum de notre potentiel énergétique. Il est évident que ce type d’entraînement ne convient pas aux personnes âgées sauf si elles ont déjà acquis beaucoup d’expériences dans ces domaines de pratique. Pour les séniors, la pratique des trois premiers paliers du Taiji Quan sont largement assez riches pour maintenir et améliorer la santé, comme le Qi Gong ou le Yang Sheng Gong 养生功, l’art de nourrir la vie.

 

Dans ce palier, les déplacements du Qi se font directement par l’Esprit Ling Shen 灵神, l’intention Yi et non plus par la respiration. Ce dernier point est essentiel ! L’esprit de Vitalité Jing Shen 精神 doit être d’un assez haut niveau vibratoire pour concevoir cette pratique. Le dialogue entre l’intention et le Qi est clair et nous allons peu à peu vers des niveaux de sensibilité de plus en plus subtils, capables de restaurer ou d’alimenter tel ou tel plan de notre être.

Voyons ce qu’en disait Wang Zongyue au 18ème siècle, dans son traité théorique du Taiji Quan « Taiji Quan Lun 太极拳论» :

 

« Dans tout le corps, l’intention est orientée vers l’esprit et non vers la respiration.
S’attacher à la respiration est cause de stagnation.
Celui qui s’attache à la respiration n’a pas de force.
Celui qui ne s’attache pas à la respiration a de la force.
Le souffle est comme la roue, la taille est comme le moyeu ».

 

En lisant ces quelques phrases il est bien apparent que la respiration ne doit pas se placer au cœur de notre pratique. Tout le long de notre apprentissage, à travers les 7 paliers, nous nous préparons à libérer la respiration de l’entrave du mental, afin que celle-ci devienne de plus en plus naturelle, profonde et subtile, quasi inaudible. Nous nous attachons aux mouvements de la taille et des épaules constituant les clés de notre relâchement dynamique Fang Song. C’est ainsi que nous apprenons à nous recharger et à tisser des liens intimes entre l’interne et l’externe et notre pratique devient un Art de Vie, moyeu central d’une vie épanouie.

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